LE DEERHOUND ÉCOSSAIS, Sport universel

1912 - Sport universel (coll. MLR pour levrier-ecossais.fr)

© Coll. MLR pour Derrhounds pour les Bleus
© Coll. MLR pour Derrhounds pour les Bleus

 

Que l’on admette avec Darwin que toutes les races de chiens soient issues d’une souche commune de quelque canis primævus ou bien d’une variété de loup aujourd’hui disparue, on doit reconnaître en tout cas qu’une famille entière, sensiblement modifiée dès la plus haute antiquité, a conservé depuis sa physionomie et ses principaux caractères ; nous voulons parler des lévriers qui furent les auxiliaires de nos ancêtres chasseurs et contribuèrent, par là même, à établir les bases de la civilisation.
Les lévriers, qu’ils fussent à poil rude ou à poil ras, étaient utilisés pour poursuivre et prendre de vitesse les animaux sauvages, ainsi qu’il est raconté dans bon nombre de manuscrits anciens, sous forme de dialogues ou de traités.
Lorsque les artistes primitifs commencèrent à illustrer leurs ouvrages, les chiens représentés rappelaient toujours de près ou de loin la silhouette des lévriers.

Dans la primitive Ecosse, les fougueux chasseurs de cerf et de loup, établis dans le nord, se servaient déjà d’un chien remarquable par sa taille, sa rapidité et son courage. Cet animal est l’ancêtre du deerhound.
« Lorsqu’un de ces chiens, raconte Dalziel, venait à disparaître d’un clan, et était recueilli par un autre, à la suite d’un déplacement de chasse, il en résultait une haine profonde et de sanglants combats. »
Dans les terres basses et découvertes on recherchait des chiens plus légers et plus agiles pour prendre les lièvres. Arrian distingue déjà à son époque un lévrier à poil ras qui avait évidemment la même origine.
De siècle en siècle, la diversité des soins, les changements de climat, les régimes différents modifièrent peu à peu les types comme taille, poils et robe.
Bien qu’on ne puisse s’en rapporter aveuglément aux textes anciens souvent faussement interprétés, et dont les auteurs ont confondu quelquefois les chiens chassant par le nez et ceux chassant à vue comme le lévrier, il ressort cependant de nombreux récits que celui-ci fut aussi le favori des chasseurs et sportsmen du moyen âge. Il fut même le héros de nombreux poèmes où le merveilleux le dispute au réel, et le fameux « Gelert » donné par le roi Jean à son gendre Llewellyn, et chanté dans le poème de Spencer, était un lévrier qu’on a tout lieu de considérer comme deerhound.
Successivement, sous les règnes d’Edouard III, d’Henri IV d’Angleterre, et plus tard sous celui d’Henri VIII, sont écrits des traités où le lévrier et les chasses pratiquées avec lui sont étudiés avec un grand luxe de détails.

Le docteur Johannes Caius, qui écrivit sous le règne d’Elizabeth un livre intitulé Les Chiens anglais, établit nettement la distinction entre les lévriers à poils ras (plus petits) et ceux à poils rudes (plus grands), ainsi que les sortes de bêtes qu’ils doivent chasser.
C’est d’ailleurs de cette époque que datent les premières épreuves de « coursing » courues, non sur des lièvres, mais sur des chevreuils avec des deerhounds, à Cowdry Park, dans le domaine de Lord Montacute, devant « la reine Elizabeth qui assista à la prise de seize chevreuils après son dîner ».
Un peu plus tard, le « coursing » fut établi selon des règles définies ; des clubs se formèrent, et ce sport devint un des plus attrayants et des plus goûtés de la haute société anglaise.
Naguère quelques tentatives plus ou moins heureuses avaient été faites en France pour y établir des courses de lévriers. Grâce à la vigoureuse croisade menée récemment par M. Marcel Boulenger, le « coursing » compte maintenant chez nous au nombre des distractions favorites de nos élégants.

Si le greyhound, sorte de pur-sang de la race canine, est le compagnon rêvé du dandy et compose, aux côtés d’une gracieuse silhouette féminine, la plus précieuse des estampes, le deerhound, au contraire, nous semble le chien qualifié pour devenir l’ami du gentleman-farmer, du gentilhomme vivant sur ses terres, accomplissant de longues chevauchées par monts et vaux, sous la pluie ou la tempête, et tenant à garder près de lui un camarade fidèle, un gardien vigilant et rapide à la fois.


Quant à nous, nous n’hésiterions pas un instant à placer à la tête de toute la famille ce magnifique animal, à l’imposante silhouette, et qui doit à sa taille élevée et à son poil embroussaillé le cachet de noblesse triste et d’aristocratie lointaine qui lui est particulier. Il est d’ailleurs probable que c’est lui dont le type s’est conservé le plus pur et le plus près du modèle ancestral parmi tous les lévriers, maintenant que le gigantesque wolfhound est disparu.
Il serait trop long de mentionner ici les théories, discussions ou descriptions au sujet du lévrier écossais ; il faut cependant rendre hommage aux pages sublimes qu’écrivit Walter Scott sur cette illustre race. Le célèbre romancier anglais, « l’Enchanteur du Nord » comme on l’appelle outre-Manche, avait été frappé, lui aussi, par la majesté d’allures et la noblesse distante du deerhound ; il n’y avait pas d’animal plus digne d’accompagner ses héros et de jouer un rôle dans les hauts faits et les prouesses que sa plume magique leur faisait accomplir.
Nous ne pouvons résister au désir de citer ici la poétique description de notre lévrier préféré, faite par un des héros du romancier, le chevalier de Gilsland : « La créature « La créature la plus parfaite du ciel, de la vieille race du Nord, à la poitrine profonde, à la queue puissante, de couleur noire, bringée sur le poitrail et les jambes, sans mouchetures blanches, à peine nuancée de gris, assez forte pour renverser un taureau, assez rapide pour atteindre l’antilope. »
Le deerhound arrivait alors à son apogée ; il était très recherché par les fervents du « deerstalking ».

Il eut encore la bonne fortune d’inspirer un des plus célèbres animaliers anglais de l’école de 1830, Sir Edwin Landseer. Dans bon nombre de ses compositions et dans les plus heureuses, figure au premier plan le lévrier écossais. Qu’il s’agisse d’une battue aux cerfs dans les Highlands, de la prise tragique d’un dix-cors dans de sombres rochers, ou bien d’une scène d’intérieur, l’artiste a peint avec amour ses modèles qu’il connaissait à fond ; il a tiré un maximum d’effet de ces souples et majestueux animaux auxquels ses tableaux empruntent un si grand caractère.
On a écrit, depuis, que Landseer avait notablement contribué à la vogue du deerhound ; qu’on nous permette de renverser la proposition et d’affirmer que le modèle a non moins contribué à la célébrité de l’artiste.

Le deerhound (mot à mot : chien à daims) était couramment employé au siècle dernier par les chasseurs de daims et de cerfs ; lâchés un à un sur l’animal blessé, les chiens (par couple généralement), après une course plus ou moins longue, après des efforts inouïs à travers les pays vallonnés où se pratiquait cette chasse, arrivaient à saisir l’animal blessé et à le porter bas.

Nombre de sportsmen anglais et écossais se livraient avec passion à la chasse du cerf à l’affût dans les Highlands en même temps qu’à l’élevage suivi du deerhound. Parmi ceux-ci le duc de Leeds possédait une famille des plus connues et des plus irréprochables comme beauté et qualités. D’autres amateurs célèbres furent M. Horatio Ross, le lieutenant-colonel Juge, M. Mac Neil dont l’étalon « Buskar » eut l’honneur de servir de modèle à Landseer. Tous ces sportsmen ont écrit sur leur favori des pages précieuses où l’amateur peut trouver à s’instruire et se documenter.

Généralement ils sont d’accord pour affirmer que la taille du deerhound ne doit pas dépasser 0 m 76 à l’épaule ; la taille utile varie, d’après eux, entre 0 m 7 l et 0 m 76 pour les mâles, 0 m 65 à 0 m 68 pour les femelles.
Les chiens de M. Mac Neil, dont la taille ne dépassait pas 0 m 70, étaient capables de forcer et d’abattre un cerf non blessé ; il était donc inutile d’exagérer et d’avoir des chiens trop grands dont on utilisait les services seulement pour retrouver les animaux blessés.
La crainte manifestée par tous les amateurs de deerhounds d’augmenter exagérément la taille venait surtout de l’appréhension de voir infuser un sang étranger dans une race qu’ils considéraient à juste titre comme s’étant conservée des plus pures.

C’est au même sentiment qu’ils obéissaient en insistant sur la beauté de forme des oreilles qui doivent être petites, douces, repliées et serrées contre la tête « comme chez le greyhound », et rappeler au toucher le poil de la souris.
En outre, la taille et la forme étaient beaucoup plus importantes que la couleur au dire des amateurs de la belle époque (jusqu’au milieu du siècle dernier), et presque tous admettaient un peu de blanc à la poitrine, voire même aux pieds et aux jambes.

Les éleveurs sérieux ont continué depuis à s’attacher avant tout « à la perfection de la forme, de façon à allier la vitesse à la force ».
Le poids généralement admis est de 39 à 47 kg pour les mâles, 29 à 36 kg pour les femelles. Le corps et la conformation générale doivent rappeler avec plus de taille et d’ossature le greyhound : poitrine plus profonde et plus large, reins et dos arqués pour faciliter les foulées de galop dans les montées ; c’est pour cette même raison que l’arrière-train doit être très puissant afin de permettre les terribles efforts nécessités par l’escalade des collines ; les hanches sont écartées, musclées ; les jarrets larges et plats et légèrement coudés pour aider à une détente rapide. Le poil doit être dur et rugueux sur tout le corps ; plus doux sur la tête, la poitrine et à la frange des jambes. D’ailleurs les portraits que nous avons pu réunir donneront mieux l’idée du parfait deerhound que la description la plus détaillée.







La grande précision des armes modernes et aussi l’extrême morcellement des forêts et droits de chasse auront vite restreint et à peu près supprimé l’emploi du deerhound. Les grands propriétaires fonciers et les chefs de clan qui conservaient encore la jouissance de leurs immenses domaines comprirent rapidement quels revenus ils pourraient retirer de leurs étendues de bruyères et de leurs pittoresques collines.
Alors plus de chasse possible avec le deerhound, car celui-ci, poursuivant un animal blessé, effrayait toute la harde et faisait les émigrer animaux dans les lots voisins. Dans beaucoup de baux on stipula même l’interdiction de ce chien.
Si l’usage du lévrier d’Ecosse s’est limité, son élevage n’en est pas moins resté très florissant. Le général Hugh Ross et le colonel David Ross faisaient primer, en 1865 et 1866, un deerhound parfait comme poil, taille et harmonies de formes : Oscar.
Plus tard des éleveurs connus, comme MM. Pershouse Parkes, Masters, Lewis, s’adonnèrent avec ferveur à l’élevage de cette magnifique race et produisirent des chiens encore célèbres par la symétrie de leurs formes, la perfection de leur pelage et l’harmonie de leurs proportions. Le célèbre champion Morni, dont la couleur bleu foncé faisait les délices des connaisseurs, la lice Brenda, l’étalon Wallace comptent parmi les plus connus de ceux qui contribuèrent à maintenir les caractères du deerhound correct.
Il ne faut pas croire, en effet, qu’il soit si aisé de produire, même de nos jours, un champion.
Cette difficulté s’accroît encore lorsqu’il s’agit d’une race de chiens qui doit unir à la taille la force et la vitesse, la qualité du pelage, la distinction, enfin cet air de « race » qui ne se définit pas mais se manifeste ipso facto aux yeux de l’amateur éclairé.
Par suite d’un paradoxe dont notre époque (est coutumière, c’est de nos jours où l’usage du deerhound comme chien de chasse est très limité, que ce magnifique animal approche de la perfection. Ce fait s’explique cependant, grâce à l’existence de certains admirateurs fervents en même temps qu’éleveurs avertis ayant profité de l’expérience de leurs devanciers et possédant des procédés d’élevage plus perfectionnés.

Mais l’Angleterre ni l’Ecosse n’ont plus le privilège de réserver chez elles ces sportsmen d’élite, et l’on ne peut parler du deerhound sans citer notre compatriote, M. Dumoulin qui s’est adonné avec tant de compétence depuis de longues années, à l’étude de cette race. C’est à son obligeance que nous devons quelques-unes des photographies qui illustrent cet article ; elles montreront à nos lecteurs jusqu’à quelle perfection de forme et quelle élégance de silhouette peut atteindre le lévrier d’Ecosse.

M. Dumoulin n’a pas craint de s’imposer de lourds sacrifices pour importer d’Ecosse des animaux comme «Champion Duncan », un des étalons les plus typiques de notre époque et dont la robe bringé clair avec taches fauve doré et les extrémités foncées sont des plus appréciées dans la race ; la belle lice « Elwyn-Ruth », également champion et qu’on dirait sortie d’une toile de Landseer ; « Champion Ronan », bringé clair dont la physionomie et l’expression rappellent tout à fait les chiens de l’ancienne famille dite Gruarach que l’on considérait comme la meilleure et la plus pure d’Ecosse et qu’avait cultivée avec tant de sollicitude M. Malcolm Clarke.
Nous donnons également le portrait d’un deerhound primé en France, il y a une trentaine d’années ; on verra combien ce chien, qui a de la race cependant, pèche par l’arrière-main, le manque de coffre, des aplombs défectueux, le rein mal soudé, et comme il est loin de soutenir la comparaison avec ses brillants compatriotes actuels. On peut donc affirmer, malgré certaines opinions émises récemment, que cette belle race est plus que jamais florissante. Comme qualités morales, nous pouvons en toute connaissance de cause vanter son excellent caractère, son intelligence très éveillée et sa fidélité à toute épreuve.
Cela ne suffit-il pas pour en faire le compagnon rêvé du gentilhomme et du sportsman ?

Léon CORBIN.