La Sorcière de Laggan

La sorcière de Laggan, © MLR
La sorcière de Laggan, © MLR

 Tiré de « Scottish Fairy and Folk Tales » de Sir George Douglas 1901

 

Un héros bien connu pour sa haine de la sorcellerie, était venu se réchauffer dans sa cabane de chasseur située en forêt de Gaick dans les environs de Badenoch. Pour toute compagnie, il avait ses fidèles lévriers qui exténués par la chasse du matin s’étaient étendus devant le feu de tourbe, un fusil avec lequel il ne ratait jamais un coup et qu’il avait pris soin d’appuyer contre le mur de la hutte et le couteau à lame acérée pendu à son flanc.

 

Pendant que le chasseur restait là, à écouter la tempête faire rage dehors, un chat d’apparence misérable, tremblant de froid, trempé jusqu’aux os se présenta à la porte.

En le voyant, le poil des chiens se hérissa tel du poil de sanglier ; ils se levèrent pour bondir sur le pitoyable chat qui attendait tout tremblant à la porte.

— « Grand chasseur des collines », s’exclama le pauvre chat tremblotant, « j’implore ta protection. Je connais ta haine pour mes pratiques et peut-être c’est juste. Mais, épargne, oui, épargne ce misérable qui a fui la cruauté et l’oppression de ses semblables pour chercher ta protection. »

Pris de compassion par ces paroles éloquentes et refusant de prendre l’avantage sur son ennemi devant une situa- tion qui semblait si désespérée, il dit à ses chiens de se calmer et l’invita à venir se réchauffer auprès du feu.

— « Non » dit-il, « j’aimerais d’abord que tu attaches tes deux furies avec cette tresse de cheveux car j’ai bien peur qu’elles ne s’en prennent à mes jambons. Je te prierai donc mon cher seigneur d’avoir la bonté de les attacher ensemble par le cou avec cette longue chevelure. »

Remarquant l’aspect curieux de cette masse de cheveux, le chasseur eut recours à la ruse ; au lieu d’attacher les deux chiens, il jeta la tresse sur la poutre maîtresse de la cabane. Alors croyant les chiens bien attachés, la sorcière s’approcha du feu et s’accroupit comme pour se sécher. Très peu de temps après, le chasseur n’eut aucune peine à voir qu’elle avait pris du volume et il la blagua à ce sujet.

— « Que le diable t’emporte, sale bête » lui dit-il, « tu deviens très grosse »

— « Aïe, aïe, répondit le chat en blaguant lui aussi, c’est qu’en séchant mes poils imbibent la chaleur et ils gonflent naturellement ».

Ces plaisanteries, n’étaient cependant que le prélude d’une conversation plus sérieuse. Le chat qui continuait à gran- dir avait enfin atteint une taille des plus extraordinaires lorsqu’en un clin d’œil, il se transforma en ce qu’il était en réalité c’est-à-dire la Bonne dame de Laggan et c’est ainsi qu’elle se mit à lui parler:

— « Chasseur des collines, l’heure de rendre tes comptes est arrivée. Tu as devant toi la représentante de ma chère confrérie dont vous avez été Macgillichallum de Razay et toi les ennemis les plus acharnés. Mais Razay n’est plus. Il a rendu son dernier soupir. Son corps gît sans vie au fond d’un égout et maintenant, Chasseur des Collines, c’est ton tour ».

Sur ce, prenant la plus hideuse et terrifiante des apparences, elle bondit sur le chasseur.

Les deux chiens, qu’elle croyait solidement attachés à la chevelure infernale, se jetèrent sur elle et un combat des plus furieux s’en suivit.

La sorcière, surprise par l’attaque imprévue des chiens commençait à regretter sa témérité. « Serre tresse, serre ! » répétait-elle en criant. En effet, sur son ordre la crinière serrait, serrait à tel point que la poutre finit par se casser en deux.

Enfin, se sentant complètement dépassée, elle tenta de fuir mais comme elle avait les crocs des chiens si profondé- ment plantés dans sa poitrine elle eut du mal à s’en défaire. Hurlant, gesticulant, la Femme de Laggan s’extirpa de la maison, traînant les chiens encore accrochés à son corps et ce n’est qu’après leur avoir brisé les mâchoires et les dents qu’ils lâchèrent prise. Puis, se métamorphosant en corbeau elle s’envola par-dessus les montagnes en direction de sa maison. Les deux fidèles lévriers exténués et sanguinolents retournèrent auprès de leur maître et s’écroulèrent morts en essayant de lui lécher les mains. En déplorant leur perte et pleurant ses chiens comme seul un père peut pleurer la mort de son enfant, il les enterra et retourna auprès des siens.

Sa femme n’était pas là pour l’accueillir mais elle arriva bientôt.

— « Où étais-tu ma chérie ? », s’enquit le mari.

— « Où étais-je ? » répondit- elle ; « Je suis allée voir la Bonne dame de Laggan qui vient d’être prise d’un mal si grave qu’on pense quelle n’en a plus pour longtemps. »

— « Aïe, aïe et qu’est-ce qui arrive à cette brave dame de Laggan ? »

— « Elle avait passé toute la journée dans ses tourbières, les pieds dans l’eau glacée et fut soudainement prise de coliques. Maintenant tous ses voisins et amis s’attendent à ce qu’elle les quitte ».

— « Pauvre femme », dit le mari ; « Elle me fait de la peine ; fais-moi à manger, il serait juste que j’aille la voir moi aussi ».

Le dîner avalé, le chasseur partit immédiatement pour la maison de Laggan où il trouva un grand nombre de voisins qui pleuraient déjà la femme dont tout le monde estimait la vertu.

Le chasseur, marchant directement jusqu’au lit de la malade avec une rage à la mesure de ce qui l’avait provoquée, lui arracha toutes ses couvertures.

Un hurlement de la sorcière ainsi exposée ramena toute la compagnie auprès d’elle.

— « Regardez », dit-il, « voici l’objet de votre sollicitude qui n’est rien moins qu’une sorcière de l’enfer. Aujourd’hui elle m’a révélé qu’elle avait assisté à la mort du Laird de Razay et il y a seulement quelques heures, elle a essayé de me faire partager son sort. Ce soir, cependant, elle va expier son crime par la perte de son horrible vie ».

Le chasseur raconta alors devant toute l’assemblée comment elle l’avait attaqué et son récit ne fut que trop bien corroboré par les marques probantes que la sorcière portait sur le corps; toute la compagnie fut convaincue de ses actes criminels et la punition habituelle allait lui être infligée, lorsque la misérable créature s’adressa à

tous dans ces termes :

— « Mes amis, si mal aimés, épargnez à une vieille connaissance, déjà à l’agonie, une dernière humiliation fatale. Mes crimes et mes folies, m’apparaissent mainte- nant sous leurs vraies couleurs; pendant que mon vil et perfide séducteur, l’ennemi de vos intérêts temporels et spirituels, se gausse de moi dans ma détresse et qu’en récompense de ma fidélité à servir ses intérêts, lorsque je séduisais tout ce qui était aimable et détruisais tout ce qui était bon, il s’apprête maintenant à confiner mon âme dans des souffrances éternelles.

Que mon exemple serve d’avertissement à tous les peuples de la terre pour qu’ils évitent le rocher fatal sur lequel j’ai dérapé ; afin de les encourager dans ce sens, je vais réparer mon iniquité en vous racontant par le détail l’horrible histoire de ma vie ».

Ici, la Bonne dame de Laggan fit le plein récit de comment elle avait été séduite et emmenée à entrer au service du Malin ; puis elle raconta toutes les aventures criminelles auxquelles elle avait participé et finit par celle de la mort de Macgillichallum de Razay et l’agression perpétrée contre le chasseur puis elle mourut.

Entre-temps, un voisin de la Bonne femme de Laggan retournait chez lui depuis Strathdearn où il avait eu à faire et il venait à peine de pénétrer dans la sinistre forêt de Monalea, à côté de Badenoch, lorsqu’il rencontra une femme vêtue de noir qui courait très vite. Visiblement en proie à une certaine agitation, elle lui demanda à quelle dis- tance elle se trouvait du cimetière de Dalarossie et si elle pouvait être là-bas à minuit.

Le voyageur lui répondit que si elle continuait à cette même allure, il était fort probable qu’elle y arrivât. Puis elle s’enfuit sur la route tout en poussant des cris de découragement et lui continua son chemin vers Badenoch. Il n’avait pas fait plus de quelques milles qu’il se fit dépasser par un grand chien noir allant à vive allure comme s’il poursuivait une piste ou flairait des traces de pas. Peu après, un autre molosse noir fila devant lui de la même façon. Le second chien était à peine passé, qu’il rencontra un vigoureux homme tout noir monté sur un splendide coursier noir qui caracolait dans la même direction que les chiens.

— « Je vous prie » dit le cavalier en s’adressant au voyageur, « avez-vous rencontré une femme le long de cette colline ?

Le voyageur répondit par l’affirmative.

« Et avez-vous vu un chien peu après ? », s’enquit à nouveau le cavalier. Le voyageur répondit qu’il l’avait vu.

« Et » ajouta le cavalier, « vous pensez que le chien va la dépasser avant qu’elle n’atteigne l’église de Dalarossie ? »

« En tout cas, il sera sur ses talons » répondit le voyageur.

Alors chacun partit de son côté. Mais avant que le voyageur eût gagné Glenbanchar, le cavalier le croisa en sens inverse. Il portait la dite femme sur le devant de la selle, un des chiens était accroché à sa poitrine et l’autre à l’une de ses cuisses.

« Où avez-vous trouvé la femme? » demanda le voyageur.

« Juste à l’entrée du cimetière de Dalarossie » fut la réponse.

En arrivant chez lui, le voyageur fut informé du destin de l’infortunée Dame de Laggan; il comprit alors à quelle drôle de compagnie il avait été confronté sur sa route.

Il n’y avait pas de doute, l’âme de la Dame de Laggan courait se protéger des esprits du Mal (auquels elle s’était vendue) dans le cimetière de Dalarossie qui est un lieu si sacré que les liens qui lient une sorcière à Satan sont immédiatement rompus et ce qu’elle soit morte ou vivante.

Mais il semble que la malheureuse Dame de Laggan soit arrivée un tantinet trop tard.



(SOURCES : LE CLUB AUSTRALIEN DU DEERHOUND)
Conte traduit et paru dans Presse de Deers N° 22).


Extérieur de la hutte de la duchesse de Bedford à Glenfeshie

De tous les lieux où il posa son chevalet , la vallée reculée de Glenfeshie a été pour Landseer, l’endroit préféré pour dessiner ; d’ailleurs, les pentes escarpées et les formes particulières des collines des alentours figurent souvent à l’arrière plan de ses dessins.

C’est également à Glenfeshie que Landseer passa beaucoup de temps avec la duchesse de Bedford qui avait fait bâtir une série de huttes æ pour y séjourner tranquillement.

L’esquisse de Landseer montre l’entrée de l’une de ces huttes, décorée de têtes de cerf ; un écossais se tient adossé au mur couvert de tourbe. A l’intérieur de la hutte on aperçoit un coffre, une commode, un brasero, un candélabre en argent, et une carafe en cristal suggérant beaucoup plus de luxe que ce que l’aspect rustre de l’extérieur pourrait présager.