Les chiens de Fowlescombe

Les gens des alentours du manoir abandonné ont commencé à entendre des bruits étranges provenant des bois qui entouraient les chenils, surtout les nuits de tempête lorsque le vent soufflait fort. On parlait de hululements de chiens aux abois et de cris perçants...

 

Le manoir de Fowlescombe est une ruine couverte de lierre située dans le comté de Devon à quelques kilomètres au sud de Dartmoor. Il fut érigé en 1537 par Thomas Fowell probablement sur l'emplacement d'une maison plus ancienne puisque les archives mentionnent déjà la naissance en 1453 à Fowlescombe d'un certain Sir Thomas Fowell, membre de la cour du roi.
Le manoir resta la propriété de la famille Fowell jusqu'à la fin du XVIII e siècle lorsque son propriétaire lui préféra Darlington Hall qu'il venait d'hériter et vendit le manoir à un dénommé John King.


Le nouveau propriétaire s'employa à restaurer et agrandir le manoir pour en faire une maison de campagne cossue. Les bâtiments de ferme furent également rénovés et surtout on y construisit un luxueux chenil en pierre taillée.
John King était très porté sur la chasse au renard et au cerf. Sa meute de foxhounds et de deerhounds jouissait d'une grande renommée. Dans la région, on disait de ses deerhounds qu'ils étaient sans peur et magnifiques, on les appelait "Les chiens du Roi" Qeu de mot sur le nom de King qui signifie roi en anglais).
Il était dit que le maître des chiens du Roi donnait l'ordre de réduire la ration des deerhounds pendant les quelques jours qui précédaient une chasse afin de les rendre encore plus férus de poursuite, tiraillés qu'ils étaient par la faim.
La redoutable meute était maintenue sous contrôle grâce à l'utilisation d'un fouet et tous les garçons de chenil devaient porter constamment une jaquette de chasse rouge afin que la
meute les reconnaisse. Ainsi commence la légende des Chiens de Fowlescombe.
Le récit le plus détaillé de cette légende date d'une centaine d'années; il nous vient de Rebecca Kosings, elle le tient de son arrière, arrière grand-père.

L'histoire commence avec un jeune homme qui avait pour tâche de nourrir les chiens; il était tombé amoureux d'une des servantes du manoir mais celle-ci l'avait repoussé car il n'était qu'un simple garçon de chenil. Le cœur brisé et honteux, le jeune-homme décida d'aller noyer son chagrin au pub.

A la tombée de la nuit, il s'est rendu compte qu'il avait oublié de nourrir les chiens et craignant le fouet du maître, il se dépêcha de rentrer à Fowlescombe pour les nourrir.
Comme il descendait la colline en toute hâte pour atteindre la combe, un vent froid s'est levé lui rappelant que sa veste rouge était restée dans le pub. Pendant un instant il songea à la récupérer mais en entendant le hurlement des chiens affamés colporté par le vent et se trouvant lui-même à deux doigts d'être renversé, il se précipita dans le chenil.
Dès son arrivée, il se mit à découper la viande à toute allure mais dans son état d'ébriété, il manqua son coup et s'entailla profondément la main. Il continua à couper la viande aussi vite
qu'il pût dans l'espoir de nourrir les bêtes avant que leur clameur ne parvint au manoir, lui évitant ainsi de recevoir le fouet du maître en colère.
Un seau de viande à la main, mélangé du sang de sa blessure qui coulait encore, il se précipita chez les chiens; ces derniers, exacerbés par la faim, déconcertés par le comportement du jeune complètement saoul et ne voyant pas la veste rouge se jetèrent sur le seau renversant au passage le jeune homme. Lorsque les chiens sentirent l'odeur de son sang, son destin fut scellé.

Selon la légende, cette nuit là, les habitants du manoir furent réveillés par les hurlements des chiens et des cris à vous glacer les sangs. Ils se rassemblèrent dans le hall central mais le maitre des lieux les renvoya dans leurs quartiers disant qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, que ce n'était que le vent soufflant à travers les arbres et autour des bâtiments.
Cependant, le lendemain matin, en faisant la tournée des chenils, le maitre trouva la meute de deerhounds toute endormie; les chiens avaient le pelage ensanglanté et le ventre plein et rebondi. Il ne restait du jeune-homme que ses bottes mâchouillées, des bouts de vêtements sanguinolents et une partie de sa chevelure.

On dit que lorsqu'un chien a goûté à la chair humaine, il n'oublie jamais et il semblerait qu'à partir de ce jour là, la meute adopta un comportement différent.
Il arrivait souvent qu'au cours d'une chasse, la meute se détourne de sa proie pour s'en prendre aux moutons, puis aux bovins; on la vit même cerner des fermiers et des ouvriers qui travaillaient dans les champs.

Les gens du cru commencèrent à craindre sérieusement les chiens et les jours de chasse, par sécurité, les enfants restaient cantonnés dans les maisons.
Un jour, l'inévitable se produisit: les chiens se jetèrent sur la fille d'un fermier dans un champ, la mirent à terre et s'en prirent à son visage et à son corps. Heureusement les hommes qui suivaient la chasse à cheval n'étaient pas loin et réussirent à écarter les chiens. La pauvre fille dut rester au lit pendant des mois, elle finit par guérir mais garda toute sa vie d'horribles cicatrices au visage, sur le cou et les bras.

La colère et des tensions de plus en plus fortes se firent sentir envers le maitre de Fowlescombe et ses chiens. Finalement, King dût se résoudre à abattre sa précieuse meute de deerhounds. Peu après il choisit de s'installer dans une autre propriété où disait-il" les terrains de chasse étaient bien meilleurs." Les gens du coin, eux, pensaient plutôt qu'il ne supportait plus le poids des événements.
Pendant plusieurs années le calme régna autour de Fowlescombe puis les gens des alentours du manoir abandonné ont commencé à entendre des bruits étranges provenant des bois qui  entouraient les chenils et cela les nuits de tempête lorsque le vent soufflait fort. On parlait de hululements de chiens aux abois et de cris perçants et les habitants disaient que c'était de la faute de King car il avait fait abattre sa meute dans le chenil où son domestique avait été tué, les unissant ainsi dans la même mort.

Fowlescombe de nos jours…

Les années passant, les habitants de la vallée et les voyageurs de passage racontaient avoir vu un jeune homme terrifié remonter la pente en courant pour les prévenir "vite, vite dépêchez-vous, la meute arrive !", leur criait-il,
puis s'enfonçant dans l'obscurité il disparaissait suivi par les grondements féroces et les aboiements des chiens dans le lointain.
Quelquefois aussi, les gens apercevaient la silhouette d'un jeune homme courant à perdre haleine poursuivi par une meute de chiens flamboyants mais toujours à la tombée de la nuit et par grand vent. Avec le temps, la Vallée de la Combe et Fowlescombe se sont forgés la réputation d'être des lieux maléfiques qu'il faut éviter la nuit surtout par grand vent.

 

Sandy MacAllister