Marie Stuart, Nero et l'infortuné Vicomte de CHASTELARD

Extraits de "Histoire des femmes infidèles célèbres"

Henry de Kock (Paul de Kock fils)"
source Gallica

Bref, les choses en vinrent à ce point que lord James, comte Murray — son frère naturel — à qui elle avait remis le dépôt de son autorité, se crut en droit de lui adresser de sérieux avertissements.

"La noblesse écossaise, madame, dit lord James à Marie Stuart, s'étonne, et, s'il faut vous l'avouer, s'alarme de votre sympathie marquée pour les seigneurs français qui vous entourent. Dans votre propre intérêt, et dans celui de ces étrangers, j'ose donc vous supplier de les inviter à rejoindre, sans délai, leur patrie".

Marie Stuart soupira. Mais lord James avait raison, elle le comprenait. Quoique, dès son retour au pays natal, la jeune reine, catholique fervente de cœur et de principes, se fût appliquée, d'après le sage conseil de ses oncles, à donner toute sa confiance aux chefs des réformés, —la religion protestante commençait alors de dominer en Ecosse - elle n'en avait pas moins continué de pratiquer, pour elle-même, dans une chapelle de son palais, le culte auquel elle était attachée.
Premier grief des protestants contre elle. La prédilection qu'elle témoignait à des gentils hommes de la cour de France, tous catholiques comme elle, était un second sujet de mécontentement pour ses sujets contre la reine.

 Lord James continua :

"J'ai parlé comme ministre, c'est-à-dire au nom du peuple écossais représenté par sa noblesse; en mon nom, maintenant, comme frère, mon devoir est de rappeler à Votre Majesté qu'il n'est peut-être pas digne d'elle de tolérer qu'un seigneur, engagé dans les liens du mariage, lui manifeste aussi publiquement qu'il le fait, l'effervescence de ses sentiments."

Cette fois, Marie Stuart rougit. C'était au marquis de Damville que lord James faisait allusion. Le marquis était marié... Et elle le savait. Surmontant son trouble, pourtant, et tendant la main au comte :

" Je remercie le ministre et le frère de leurs bons avis, dit-elle, et je les suivrai. Dans huit jours, je le promets, les gentilshommes français qui m'ont suivie ici m'auront dit adieu".
 " Tous ? "insista lord James.
" Tous ! "conclut la reine.

Tous, non ; tous ne quittèrent pas la cour d'Ecosse ; il y en resta un : le vicomte de Chastelard, chargé par le marquis de Damville, d'accord avec Marie Stuart, de recevoir les lettres qu'il lui adresserait de France pour Sa Majesté.  On se séparait, puisqu'on y était forcés, mais on ne renonçait pas pour cela à s'adorer.
Pauvre Chastelard ! Pourquoi accepta-t-il ce rôle d'intermédiaire galant, qu'il devait d'ailleurs remplir si mal ! Damville parti, ne voilà-t-il pas qu'au lieu de s'occuper, comme il s'y était engagé, des affaires du cher exilé, Chastelard n'eut plus qu'une idée : celle de faire les siennes !
Il était assez bien de sa personne aussi, ce Chastelard, il avait vingt-cinq ans à peine; de plus il était poète, trois motifs pour qu'il ne doutât de rien. Il adressa des vers à Marie Stuart, des vers, d'abord respectueux, puis tendres... puis brûlants.
On sait que la poésie était le faible de la reine d'Ecosse. En tout cas, la constance n'était pas son fort.   Elle répondit de façon à l'encourager, à son nouvel amoureux…  Il en perdit la tête. Oui, certes, il fallut qu'il devînt fou pour concevoir et exécuter, à l'égard d'une reine, une entreprise bonne tout au plus à tenter près d'une petite bourgeoise.

Il avait ses entrées à Holyrood, palais de Marie Stuart. Un soir, trompant la surveillance des gardes et des valets, il réussit à se glisser jusque dans les appartements privés, dans la chambre à coucher même de la reine, sous le lit de laquelle il se cacha.
Vers onze heures, Marie arriva, escortée de deux de ses dames d'honneur qui procédèrent à sa toilette de nuit. On la décoiffa, puis on lui retira sa robe et son corset. C'était en automne, il faisait froid, comme une simple mortelle, la reine, en chemise, s'assit, pour se chauffer, devant la cheminée où brillait un grand feu. Semblable au paysan du conte de La Fontaine, Chastelard, l'heureux Chastelard, témoin de cette charmante scène intime, eût pu s'écrier : Grand Dieu que vois-je.... et que ne vois-je [pas]!...
Il voyait, au bout d'une jambe ronde, faite au tour, un pied étroit, cambré, se jouant, nu, dans une mule de maroquin; il voyait, sur des épaules blanches - des épaules à damner un saint -  une forêt de cheveux se déroulant en une cascade soyeuse -  ces beaux cheveux blonds, objet d'envie d'Elisabeth d'Angleterre, qui, elle, avait les siens d'un rouge carotte. Il voyait....

Mais, tout à coup, sur un bruit léger qui se produisit à la porte de la chambre, Marie Stuart, en train de causer avec les dames d'honneur,

"Eh ! n'est-ce pas Néro qui gratte? Ouvrez-lui donc!"

Néro était un magnifique lévrier d'Ecosse, le chien favori de la reine. Il couchait, la nuit, au pied de son lit, sur une peau d'ours. Chastelard ignorait cette particularité.

Je suis perdu ! pensa-t-il, quand on ouvrit à Néro.
Et il ne se trompait pas. Et ce ne fut pas long !
Peu doués, en général, sous le rapport de l'odorat, les lévriers se rattrapent par la subtilité de l'ouïe et de la vue. Néro ne sentit pas Chastelard... il le vit, il l'entendit tressaillir dans sa cachette... Et, les yeux étincelants, le poil hérissé, il bondit vers le lit en aboyant avec fureur.
Les dames d'honneur se baissèrent, croyant à la présence de quelque chien étranger... Vous jugez de leurs cris en apercevant un homme blotti sous le lit de Sa Majesté! Très-effrayée, elle-même, Marie Stuart s'était précipitée dans une pièce voisine.
Des gardes accoururent. Chastelard fut arrêté et jeté dans un cachot.
On assure que, lorsqu'on lui apprit qui était l'impertinent curieux dépisté par Néro, la reine eut un geste plus chagrin qu'irrité.
C'est qu'elle prévoyait le sort réservé à ce curieux.
En vain elle fit agir secrètement de hautes influences, accusé et convaincu d'un attentat terrible, un attentat à la pudeur royale, Chastelard fut condamné à mort par des juges puritains.
Il entendit sans pâlir sa sentence; il marcha au supplice sans trembler. Pendant les débats du procès, il avait moins cherché à défendre sa vie qu'à sauvegarder l'honneur, que des méchants pouvaient suspecter, de la reine.
Quand on lui demanda si quelque chose dans la conduite de cette dernière l'avait autorisé à sa détestable action :


"Rien ! répondit-il. J'aimais la reine, mais la reine a toujours ignoré mon amour. une étoile s'occupe-t-elle d'un brin d'herbe?"

On lui trancha la tête.
La veille de son exécution, un homme lui apporta, de la part de Marie, un mouchoir à ses armes— et à son parfum — qu'elle lui offrait pour se bander les yeux sur l'échafaud. Il couvrit de baisers le morceau de fine batiste, dernier gage d'une pitié impuissante, puis, le rendant au messager :

"Remerciez pour moi Sa Majesté, dit-il, avec un sourire mélancolique, mais il ne faut pas qu'on lui reproche d'avoir pardonné à mes yeux, même au moment de se fermer pour toujours, d'avoir vu ce qu'il leur était défendu de voir."